Ce mémoire traite de la notion de « cinéma jeune public ». Il se propose d’étudier les différents facteurs – artistiques, sociaux, psychologiques, contextuels – susceptibles d’entrer en cause dans le choix, ou au contraire dans la censure, de films que l’on destine à un public de jeunes spectateurs, qu’il s’agisse de groupes scolaires, de loisirs, ou bien de publics individuels. Quels éléments entrent en jeu dans le jugement d’une œuvre considérée comme « délicate » à aborder avec des enfants ? Ces réticences seraient-elles à surmonter ? Et quelles sont les limites ? Au cœur du terrain, cette recherche interroge aussi les pratiques du médiateur cinéma jeune public, son rôle dans la salle, et la nécessité d’un accompagnement pédagogique autour des séances jeune public.
Cette étude se base sur l’analyse d’entretiens menés auprès de plusieurs professionnels de l’éducation au cinéma et d’une pédopsychiatre, principalement actifs en Île-de-France. Elle est approfondie et complétée par la lecture d’un corpus varié et enrichie de mes expériences personnelles et professionnelles.
Démarche de recherche
Depuis mon plus jeune âge, mes aspirations professionnelles ont toujours été tournées vers les arts, la culture, et la société, mais aussi vers le monde de l’enfance, empli d’imaginaire et de découvertes. A l’heure des études supérieures, mon hésitation entre les domaines de la sociologie, de l’histoire des arts et de l’animation socioculturelle, m’a orienté vers celui de la médiation culturelle. Cette formation semblait être le parfait équilibre entre la soif de culture artistique et le désir de transmission, en passant par la connaissance des différents publics auxquels adapter son discours.
Particulièrement attirée par l’image animée et la photographie, je me suis naturellement spécialisée en métiers de l’audiovisuel. Arrivée au Master 1, je savais que ma recherche serait orientée vers la médiation culturelle du cinéma en direction des jeunes publics. Mon étude aborderait-elle la pratique d’ateliers audiovisuels, la mise en place de dispositifs culturels dans les écoles, la conception de parcours éducatifs au sein d’expositions liées au domaine de l’image ?
Je me suis souvenue d’Emilie Desruelle, qui était intervenue en classe l’année précédente pour présenter son métier de responsable jeune public en salle de cinéma. Ce métier, dont je ne savais rien avant cette rencontre, m’avait intrigué, et avait réellement suscité mon intérêt. J’ai donc postulé au Magic Cinéma de Bobigny pour y effectuer un stage auprès de cette professionnelle.
Cette expérience m’a permis de définir le sujet de mon étude. Au cours de différentes manifestations, j’ai rencontré de nombreux professionnels du secteur de «l’éducation au cinéma». Cela a attisé ma curiosité. J’ai désiré en savoir plus sur le rôle du médiateur jeune public en salle, mais aussi sur la programmation s’adressant aux jeunes spectateurs, et les actions de médiation culturelle développée autour des projections. La question de l’autocensure face à ce que l’on s’autorise ou non à montrer aux jeunes spectateurs, puis de ce que l’on s’autorise ou non à discuter avec eux autour du film me tenait à cœur.
Rapidement, j’ai donc décidé d’entreprendre une enquête de terrain auprès de ces professionnels du réseau d’Île-de-France, tant pour recueillir leurs points de vue sur des problématiques générales liées à l’enfance et au cinéma, que pour prendre connaissance de leurs pratiques professionnels au quotidien.
J’ai choisi de m’intéresser à plusieurs salles de cinéma «art et essai» d’Île-de-France (75, 93 et 95), participant, ou non, aux dispositifs scolaires d’éducation au cinéma. Je me suis aussi intéressée à des lieux de cinéma plus spécifiques, tels que l’Agence du Court-Métrage, le Forum des Images et la Cinémathèque Française.
Le «jeune public» étant un terme vaste, j’ai choisi d’orienter mes questions autour de la tranche d’âge des 8-11 ans. Je me suis intéressée à ce stade entre enfance et préadolescence, où, selon moi, on est capable d’accepter la rencontre avec diverses formes de cinéma, capable de construire un jugement critique, sans craindre de prendre la parole. C’est aussi l’âge à partir duquel les adultes jugent pouvoir commencer à aborder certains sujets dits «sensibles» avec ces enfants.
Ma problématique s’est peu à peu précisée pour devenir finalement : « Que s’autorise-t-on à programmer en salle pour un jeune public, et dans quelle mesure la médiation autour des projections est elle nécessaire ? ».
Pour tenter d’y répondre, j’ai donc mené dix-huit entretiens individuels et un entretien collectif, semi directifs (je posais des questions ouvertes) de type compréhensif (je cherchais à comprendre un comportement et un point de vue). Quatre entretiens se sont déroulés par téléphone. Tous les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits. J’ai choisi d’analyser ces données de façon thématique, et de mettre en regard les différents points de vue des professionnels dans leurs convergences ou divergences.